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Le CPF fête ses 10 ans : pas de quoi se réjouir !
04 DÉCEMBRE 2024 / pratiques
Didier Cozin
freelance
Le DIF (dispositif qui a précédé le CPF) n’a pas dépassé 10 années d’existence (2004-2014). Le CPF, quant à lui, semble suivre la voie moins glorieuse de l’enlisement. Retour sur une série d’erreurs que les entreprises et les salariés (dont la responsabilité est largement atténuée) continuent de payer au prix fort.

Une formation ni continue ni tout au long de la vie

Inventé en 2014 pour relancer un DIF supposé mal en point, le CPF en paraissait une version améliorée, conservant une tonalité individuelle, mais déviant finalement du DIF en ce qu’il prétendait former hors du champ de l’entreprise (et parfois même du travail). D'abord, il aura manqué au CPF un vrai financement (10 milliards/an et non 900 millions) mais également et surtout une réflexion sur le devenir de l’éducation et de la formation dans un monde désormais numérisé, globalisé où l’IA s’apprête à tout accaparer. En 2025, le CPF va manquer de tout : de financements (couvrant aujourd’hui moins de 3 % des besoins) de lisibilité, de simplicité et d’adaptabilité (dans un monde du travail qui change à la vitesse des idées et des électrons, le CPF reste une construction balourde dont les seules CGV pèsent plus de 100 pages). Enfin, il lui aura manqué l’essentiel : une réflexion sur les missions et limites de l’éducation en France. L’inadéquation est dorénavant immense entre, d’une part, une institution éducative nationale, repliée sur elle-même, maugréante, paralysée par sa taille et ses tabous, et, d’autre part, un monde du travail bouleversé par la montée des défis (la numérisation de toutes les activités, le prix de l’énergie, le vieillissement de la population active, la désindustrialisation).

Le CPF de 2015, une triple erreur dont la formation peinera à se remettre 

#1 Une nationalisation de la formation : Faute de pouvoir intervenir aussi loin qu’il le souhaiterait dans le champ de l’économie et des entreprises, l’État joue à l’apprenti-sorcier dans l’éducation et la formation, considérant que celles-ci relèvent de la sphère publique (via l’Éducation Nationale et ses succursales, par exemple, les GRETA). Il y met en œuvre toutes ses forces et son savoir-faire pour récupérer les fonds des entreprises (cotisations patronales rétrogradées de 1,6 % à 1 % de la masse salariale) au profit d’un unique organisme public centralisateur / redistributeur (France compétences). 

#2 La confusion des concepts d’Éducation et de Formation : Si l’État (Loi Debré de 1959) avait capté l’essentiel des budgets et des forces éducatives (80 % d’écoles publiques contre 20 % dans le privé), la loi Delors de 1971 instaurait un marché (concurrentiel) de la formation avec de nombreuses structures privées face à des institutions restant publiques (l’AFPA, les GRETA et les lycées professionnels). Dès 2014, la volonté de généraliser la formation des chômeurs s’opéra au détriment des salariés du secteur privé avec la perte des budgets mutualisés et un irréaliste CPF (censé compenser la perte de maîtrise de la formation par les entreprises).

#3 Une défiance contre les employeurs : Le DIF relevait de la seule politique RH/formation de l’entreprise, son déploiement était négociable avec les partenaires sociaux et il devait d’abord œuvrer à la montée en compétences (ou à la reconversion) des salariés en poste (et non des chômeurs). Le CPF installait la défiance en formation avec l'obligation surréaliste de former 100 % des effectifs sur 6 années.

Le CPF relève d’une logique consumériste inadaptée l’apprentissage
 En effet, le CPF est détaché de l’entreprise, du poste de travail, du travail parfois (permis de conduire) ; il se focalise sur le vain comptage d’heures (puis d’euros) réduisant la formation à un symbolique livret d’épargne sans intérêts versés ni une réelle montée en compétences de la population active ; enfin, il réduit la formation à une démarche quasi scolaire et infantilisante, une longue quête, coûteuse et souvent vaine de titres ou divers diplômes.

Le CPF en 2025 : quel avenir ?

On peut estimer que le CPF a peu d’avenir (ce que paraît corroborer la raréfaction des communiqués triomphants auquel le ministère du Travail nous avait habitué). Revue de détail… Le dispositif est devenu très difficile à mettre en œuvre, plein de chausse-trappes (censées éviter les malversations), de complexité et de délais. La cotisation CPF (0,2 % de la masse salariale pour les seules entreprises de plus de 10 salariés) représente moins de 900 millions d’euros, alors que les formations CPF se sont considérablement renchéries (à 99 % les formations se font en interentreprises) et sont principalement menées en distanciel (d’accès difficile pour les publics fragiles ou peu qualifiés). Le CPF est fortement déficitaire depuis 2020 (de 1,5 milliard chaque année), les économies demandées au ministère du Travail ayant introduit la notion délétère en formation de « ticket modérateur » (100 € par action de formation). France Travail capte toujours plus du tiers des budgets du CPF, empêchant les travailleurs en poste de bénéficier de ces mêmes budgets. Les permis de conduire (B et désormais moto) accaparent encore 20 % des ressources du CPF.

Ce qui amène à envisager deux issues à ce dispositif : soit une extinction à petit feu (dispositif de plus en plus coûteux, confidentiel, finalement délaissé par le monde du travail), soit une remise en cause globale de la formation (notamment du rôle et des financements des lycées professionnels) au profit d’une libéralisation des apprentissages professionnels, régis par les entreprises et déliés de l’Education Nationale.

Takeaway : La France n’a pas su depuis l’an 2000 déployer et régénérer sa formation. D’un système imparfait, mais effectif depuis les grandes réformes des années 70, elle a godillé entre la libéralisation du système (DIF et professionnalisation des années 2000) ou le dirigisme et la nationalisation. Aujourd’hui, la formation en entreprise est absente, mal en point ou isolée face à des enjeux financiers qui la dépassent, accusée d’être un coût, submergée par le numérique et la transformation du travail. À quoi bon, se demandent certains, apprendre quand tout est disponible sur les étagères du Net, lorsque ChatGPT peut remplacer le formateur ou l’organisme de formation et que de nombreux emplois du tertiaire seront remplacés par des Intelligences Artificielles ?

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